JOUR 2 – Jeudi 8 novembre 2018

Séance 2 – La radicalisation violente

Je me permets de vous demander quel logiciel d’analyse du discours avez-vous utilisé et demande-t-il une formation particulière ? Est-ce TROPES ?

Réponse de Pascal Marchand
Ce n’est pas Tropes, excellent logiciel que j’utilise également, mais qui propose une analyse morphosyntaxique et sémantique. Ici, c’est un logiciel d’analyse des données textuelles (textométrie) que nous développons à Toulouse : Iramuteq. Il est libre (donc gratuit) et vous pouvez en savoir plus sur http://iramuteq.org/ Il demande une formation théorique et pratique d’une journée environ pour une initiation qui permet déjà d’analyser beaucoup de corpus textuels.

 

Madame Riss, des victimes, survivants ou parents sont volontaires pour intervenir en milieu carcéral. En France, ceci est peu ou pas fait. Pourquoi ?

Réponse de Sabine Riss
Si, cela est mis en place. Je suis moi-même en train de l’organiser.
Cependant cela est rare, car il faut s’assurer de la solidité du cadre entourant ces interventions : peut-on être assuré que les personnes intervenantes et témoignant de leur trajectoire ou de l’impact d’une perte sont suffisamment armées pour se situer dans une telle confrontation, comment cela est-il repris par la suite, etc.
C’est un dispositif qui nécessite que toutes les personnes y intervenant aient conscience du retentissement éventuel qu’il peut susciter et aient une réflexion sur les raisons qui les amènent à s’y intégrer.

Comment définir le concept de l’inversion idéologique ?

Réponse de Bernard Chouvier
L’inversion idéologique consiste en un retournement du processus de pensée qui conduit à la mise en place d’un raisonnement falsifié visant à battre en brèche les données de la réalité. Les faits sont contestés par les idéologues du groupe qui les reconstruisent selon le modèle de la toute-puissance narcissique groupale.

 

Quelle est la différence entre loup et auteur solitaires ?

Réponse de Nicolas Estano
J’ai distingué la notion trop vague, et peu pertinente de « loup solitaire », de celle « d’auteur solitaire ». 
Dans le premier cas, le loup solitaire agit seul, de bout en bout (de la conception de l’attaque à son exécution) parfois motivé par un délire paranoïaque–ïde, (tel A. Breivik par exemple), alors que l’auteur solitaire serait soutenu par une cellule logistique (planque, argent, armes, etc.) (e. g Merah, Nemouche, El Khazani (Thalys) et tous les auteurs isolés de ces derniers mois. 
L’étude de Schuurman & al. (SCHUURMAN & al., “End of the lone wolf: the typology that should not have been”, in Studies in conflict and terrorism, 2018) identifiait ainsi que 78 % des auteurs isolés auraient reçu des sources extérieures d’encouragement, et justifications au recours à la violence, un tiers des individus labélisés « lone wolf », hâtivement, ont reçu une aide directe et concrète dans la planification de l’attaque.
« Le concept de loup solitaire implicitement exagère donc le degré d’isolation de ces individus à travers le processus criminogène. 86 % des auteurs ayant agi seuls avaient auparavant communiqué à des tiers (réels et en ligne) leurs vues extrémistes, 58 % leurs intentions violentes ».

 

Est-ce qu’un axe majeur de la prévention ne serait pas l’investissement dans une meilleure prise en charge des enfants en proie à la violence — subie ou agie ?

Réponse de Monique Lauret
Tout à fait, par un cadre contenant et bienveillant, de façon à aider ces enfants à prendre conscience de leur agressivité qui s’ancre dans des fantasmes archaïques autant réparateurs que destructeurs et les aider à canaliser cette violence vers la réparation et la sublimation. Maintenir des lieux de rencontre, d’encadrement et d’écoute est primordial. Sinon l’enfant reste seul avec ses propres pulsions destructrices et ses angoisses. L’épreuve de la survie à sa propre destructivité est aussi importante à l’adolescence qu’au début de la vie. La psychanalyste Melanie Klein a apporté un éclairage remarquable sur ces phénomènes.

 

Conférence du professeur Sageman

Auriez-vous s’il vous plaît des références bibliographiques à nous communiquer sur les liens éventuels entre psychotrauma (ESPT notamment) et radicalisation ?

Réponse du professeur Sageman
Je ne crois pas qu’il y ait des liens entre ESPT et radicalisation. Mon cas clinique n’était pas sur l’ESPT, mais sur l’aliénation entre Soumaya et la société et plus tard sa politisation due à la souffrance des membres de la Ummah en Syrie et Iraq. Je crois qu’elle était mon seul cas de ESPT sur un échantillon de 50 personnes examinées.

 

JOUR 3 – Vendredi 9 novembre 2018

Séance 5 – Les mineur.e.s de retour de zones de guerre

Quels sont les rapprochements possibles entre les situations des enfants de retour et les effets psychopathologiques produits par la déportation des familles lors de la seconde guerre mondiale ?

Réponse de Caroline Eliacheff
Il me parait trop tôt pour établir des rapprochements, mais je vois une différence essentielle : les parents sont partis de leur plein gré d’un pays en paix vers une zone de guerre dans des pays hostiles à la France.

 

En moyenne, quel est le délai d’attente pour l’audience après l’arrivée sur le territoire de ces familles ?

Réponse de Caroline Eliacheff
Le juge des enfants les reçoit deux semaines après leur arrivée. Ce délai est respecté.

 

Pourquoi seulement Paris pour expertiser les suivis des familles et des mineurs ?

Réponse de Caroline Eliacheff
Cela dépend du lieu où arrivent les familles. La majorité d’entre elles (mais pas toutes) arrive à Roissy qui dépend géographiquement du Tribunal de Bobigny. Ceci explique cela…

 

Qu’en est-il des enfants qui n’ont pas été en zone de conflit, mais dont les parents sont partis ? La transmission du trauma ne serait-elle pas aussi destructurante ?

Réponse de Caroline Eliacheff
Pas de réponse univoque. Certains enfants sont restés dans leur famille. D’autres ont été signalés et placés en famille d’accueil. Nul ne peut présager aujourd’hui de leur avenir ni de ce qui aura été le plus marquant pour eux. 

 

Vu l’aspect potentiellement traumatique de la séparation au retour, ne craignez-vous pas que les enfants perçoivent « la France » comme mauvais objet condamnable ?

Réponse de Caroline Eliacheff
Tout est possible, mais rien n’est certain ! L’accueil de ces enfants à l’arrivée et plus tard, le récit qui en sera fait jouera certainement un rôle.

 

Dr Eliacheff, est-ce de la dissociation traumatique que vous percevez dans l’attitude très (trop) calme et de la froideur affective des enfants en audience ?

Réponse de Caroline Eliacheff
Je me garde bien de poser un diagnostic sur ces enfants en assistant aux audiences et je ne parlerai pas de « froideur affective ». L’audience chez un juge est une situation totalement inhabituelle et les pédopsychiatres qui reçoivent les enfants en consultation sont mieux à même que moi pour dire s’il s’agit éventuellement d’une dissociation traumatique.

 

Conférence de Jean-François Gayraud

Qu’en est-il du souvenir d’hybridation lors du mouvement de la résistance à la sortie de la seconde guerre mondiale en France ?

Réponse de Jean-François Gayraud
Les années 1940/1945 relèvent réellement de ce que je nomme le Chaos, c’est à dire une période durant laquelle les repères et les définitions ont été brouillés, comme actuellement.
Or, comme l’a bien montré l’historien Jean-Marc Berlière, beaucoup de lignes de démarcation entre gangsters et « acteurs politiques » ont parfois été floues durant cette période.

 

Pourriez-vous développer les 4 figures d’hybridation ?

Réponse de Jean-François Gayraud
Ce sera un peu long dans le cadre de ce message…
En résumé :
« Penser l’hybridation exige un modèle explicatif, donc une forme de taxinomie, pour clarifier ce phénomène complexe. Je propose un modèle autour de quatre figures de l’hybridation. Les trois premières sont dynamiques et historiques : nous distinguons ainsi trois stades de l’hybridation à travers des processus de coopérations, de convergences et de mutations.
La quatrième figure est topographique : la coexistence territoriale. »

 

Qui accompagne les policiers ? Ont-ils une supervision ?

Réponse de Jean-François Gayraud
Il existe au sein de la police nationale un service ancien et très développé de psychologues. Les policiers en difficulté peuvent ainsi faire l’objet d’un accompagnement.
Lorsque j’étais chef adjoint de l’UCLAT, j’ai recruté une psychologue, Mme Theillaumas — qui est intervenue au colloque — afin d’accompagner les familles appelantes au CNAPR.

 

L’acte terroriste peut-il être compris à travers une peur du déclassement social, masquée par l’illusion d’un conformisme offert par les causes djihadistes ?

Réponse de Jean-François Gayraud
J’en doute fortement.
Ma thèse renvoie plus à la question d’un HABITUS de la violence et de la déviance utilisant une idéologie comme narratif. D’un point de vue social, en France, ce ne sont pas les plus « déshérités de la terre » qui passent au terrorisme.

 

M. Gayraud, votre théorie vous semble-t-elle applicable à ceux dont l’idéologie est radicalisée, mais qui n’ont pas de comportements violents ?

Réponse de Jean-François Gayraud
NON.
Mon sujet est l’hybridation entre deux formes de violence : criminelle/délinquante de droit commun et politique/terroriste.
Tout mon propos consiste justement à dire que le seul fait d’avoir des idées extrémistes/radicales ne peut suffire à expliquer un passage à l’acte violent. Il y a en France des milliers de radicalisés de tous bords (islamistes, ultra droite, ultra gauche, etc.) qui fort heureusement ne passeront jamais le Rubicon de la violence.

 

Y a-t-il un parallèle avec l’allégeance qui peut être faite au sein de la mafia et celle faite à Daesh ?

Réponse de Jean-François Gayraud
Non. Les processus d’intégration sont différents.
Une Mafia, au strict sens criminologique, présente une sociologie de « société secrète ». Il y a donc un rituel d’initiation. Aucun volontariat n’est possible pour l’intégrer : vous êtes choisi, puis initié.
Pour Daech, on a à faire à une organisation politico militaire classique admettant les volontaires.

 

Si l’origine de la radicalisation tient réellement au passé criminologique des individus, que proposez-vous en termes de prise en charge ?

Réponse de Jean-François Gayraud
Si on admet mon diagnostic criminologique, il faut alors, très en amont, faire appel aux politiques classiques de prévention/dissuasion de la délinquance/criminalité de droit commun.
Ce que vous qualifiez de « prise en charge » renvoie par exemple aux politiques de prévention de la récidive.
Autre piste de réflexion : les travaux conduits au plan international — et en France par la Maison des sciences de l’homme — sur les politiques de « sortie de la violence ».

 

Ne s’agit il pas d’un continuum dans la violence, mais pourquoi a un moment bascule-t-elle contre une société ou un état ?

Réponse de Jean-François Gayraud
Il s’agit en effet d’un continuum.
Pour l’épisode des attentats de 2015/2016, il est indéniable que la situation géopolitique dans la zone syro-irakienne a servi d’amorce à ces processus de violence ; vous posez aussi une question centrale qui est celle non des causalités profondes, mais des « facteurs de passage à l’acte »…. Ancienne question de criminologie qui n’appelle pas de réponses générales ; il n’y a, me semble-t-il, que des situations sui generis.

 

N’y a-t-il pas toujours eu relation entre criminalité de droit commun et moment de guerre ou de déstabilisation sociétale (cf. 2e guerre mondiale, brigadistes 1980) ?

Réponse de Jean-François Gayraud
Ce type de relation a en effet toujours existé.
Avec une nuance qui est au centre de ma thèse : durant les périodes de chaos, comme celle que nous vivons depuis la fin de la guerre froide, l’hybridation devient la règle et n’est pas une simple exception.
Ainsi, le terroriste anarchiste du 19e siècle était rarement issu du monde de la
délinquance ; il y a eu des exceptions, tel le célèbre Marius Jacob. Mais cette origine délinquante n’était pas la norme.

 

Séance 6 – L’épreuve des familles, le soutien à la parentalité

Vous ne pensez pas que le processus de radicalisation commence par une défaillance psychologique et non par une croyance qui n’est finalement qu’un refuge…?

Réponse de Stéphane Houyez
Effectivement, la croyance ne nous semble pas première dans ces problématiques, mais elle permet « d’organiser » une colère, colère que les mouvements sectaires savent exploiter. La dimension psychologique initie cette colère, mais il faut ici entendre le psychologique dans sa dimension groupale, dans la défaillance d’une forme de groupalité.

 

La radicalisation des adolescents peut-elle se comprendre comme un recours à l’acte, une forme d’expression d’une angoisse, appel au secours pour ne pas s’effondrer.

Réponse de Stéphane Houyez
Il y a effectivement un peu de tout cela ! Mais avant tout, comme pour tout passage à l’acte, il faut entendre une tentative (illusoire) de maîtrise de l’angoisse : c’est la « force » du dogme face au doute insupportable, la maîtrise de la mort comme « seul » moyen de contrer les déliaisons psychiques…
Pour l’adolescent(e), l’incapacité de la cité à lui offrir une solution aux traumas ou aux conflits amène à refuser cette cité pour se réfugier dans une emprise absolutiste. Ainsi, le port du niqab peut isoler de l’entourage, mais cet isolement provoqué est somme toute moins douloureux que la difficulté à supporter l’aléatoire des relations sociales, justement parce qu’il est provoqué !

 

Je ne comprends pas quelles sont les différences entre vos dispositifs qui ont l’air semblables.

Réponse de Stéphane Houyez
La « commande institutionnelle » étant sans doute la même sur nos différents dispositifs, centrés autour de la famille, il est logique d’y retrouver des conjonctions. Pour autant, les supports associatifs n’étant pas « identiques » (professions concernées, organisation et histoire des structures, options théoriques…), des différences existent entre nos actions. 
Reste évidemment le sentiment d’une cohérence globale entre nos interventions et nos analyses, cohérence qui semble plutôt « rassurante » !

 

Les situations et les approches sont-elles différentes selon que la famille est musulmane ou non ?

Réponse de Stéphane Houyez
Notre approche clinique restait la même, quelle que soit la famille, centrée sur les enjeux familiaux, sans tenir compte de la religion pratiquée ou non au sein de la famille (nous avons d’ailleurs accueilli des familles de « cultures » différentes de ce point de vue, sans nécessiter d’aménagement particulier).
Par contre, les situations étaient différentes ; la conversion d’un(e) adolescente à l’islam n’a évidemment pas le même « retentissement » ni la même fonction selon la « culture religieuse » de la famille : musulmane, chrétienne, athée… en termes de filiation possible à une figure ancestrale, ou au contraire, en opposition, en rupture… Ces mouvements faisaient bien sûr l’objet de notre attention.

Réponse de Gweltaz Fily
J’ajouterai à ce qu’évoque M. Houyez qu’une famille a et est une culture. Il s’agit pour nous d’avoir un positionnement appartenant à l’anthropologie clinique c’est-à-dire de saisir les enjeux d’une culture familiale singulière et d’explorer comment les liens familiaux s’y expriment.

Réponse de Monique Lauret
L’approche clinique est la même, mais la prise en charge doit tenir compte dans l’écoute, des particularités socioculturelles des familles.

 

En vous basant sur vos expériences cliniques, vous ne pensez pas que la défaillance d’attachement entre parents et enfants favorise une potentielle radicalisation ?

Réponse de Stéphane Houyez
Je ne sais pas précisément ce que vous identifiez comme « défaillance d’attachement ». L’attachement est certainement en jeu, mais pas nécessairement sous l’angle carentiel. Un attachement excessif ou trop exclusif peut aussi mettre en échec un processus de séparation psychique à l’adolescence, et engager alors une nécessaire rupture, pouvant s’organiser derrière une conversion religieuse (exemple d’une conversion à l’islam dans une famille athée, avec une relation décrite comme « fusionnelle » entre une adolescente et son père).
L’attachement aux proches reste un objet à questionner dans la dynamique psychique à l’adolescence, y compris dans ses dérives d’emprise ou de radicalisation.

Réponse de Gweltaz Fily
La qualité et l’intensité du lien produisant l’attachement jouent un rôle dans la mise en sens de la conversion de l’adolescent pour les parents. Cependant l’attachement ne peut-être l’unique rouage du processus de radicalisation, mais peut y participer. Ce que nous constatons c’est que l’attachement, le lien est mis à l’épreuve par la conversion, même avant de parler de radicalisation, puisque les parents « ne reconnaissent plus leur enfant ». Comment rester attaché à cet enfant « qui n’est plus le même » ? Comment continuer à l’aimer ?

Réponse de Monique Lauret
Les adolescents en déshérence affective seront plus à risque d’embrigadements.

 

S. Houyez, diriez-vous que vous avez pu utiliser la cellule préfectorale comme espace tiers dans l’organisation de votre travail ?

Réponse de Stéphane Houyez
La cellule était d’une part liée à l’autorité policière, ce qui n’était pas notre cas, et par ailleurs, elle avait des possibilités d’intervention « administrative » (changement d’établissement scolaire, mobilité possible au sein du parc hlm….) qui lui permettaient un accompagnement social des familles. Notre travail pouvait donc être complètement détaché de ces réalités (auxquelles nous n’avions pas directement accès), et rester centré sur les enjeux psychiques au sein de la famille.
Dans les demandes qui nous ont été transmises existait souvent une confusion entre ces deux aspects dans les relations intrafamiliales (« objectivation » de l’un des membres de la famille par exemple). Notre travail de subjectivation en a donc été facilité.
Il me semble cependant que nos références théoriques représentaient davantage un espace tiers dans notre travail.

 

S.Houyez, est-ce que vous retrouvez des similitudes entre les problématiques addictives et les situations de radicalisation au plan familial et individuel ?

Réponse de Stéphane Houyez
Oui, certainement, dans l’impact que ces deux problématiques peuvent représenter aux yeux des parents, et donc dans le travail avec ceux-ci. Par ailleurs, ces deux problématiques s’organisent autour de l’adolescence, et signent toutes deux l’échec d’une certaine forme de « socialisation du symptôme ». Toute emprise sectaire peut s’entendre comme une forme d’addiction de notre point de vue. Une différence fondamentale cependant, c’est que la radicalisation que nous observons privilégie une haine projetée sur la cité, dans une dynamique clairement mortifère, alors que l’addiction est davantage à entendre comme un moyen de soigner/fuir sa souffrance, entre soi et soi.

 

Le dysfonctionnement familial est-il un facteur important dans le processus de la radicalisation ? Familles recomposées, familles sans pères, parents échangistes…

Réponse de Véronique Stephan-Vatan
Faut-il parler de dysfonctionnement quand il s’agit de familles recomposées, familles sans pères ou parents échangistes ? Il vaut peut-être mieux penser les problèmes familiaux sous un autre angle. La question est plutôt au niveau de la qualité des liens intrafamiliaux…

Réponse de Monique Lauret
L’éclatement des liens familiaux est un facteur de risque, car l’adolescent manque de repères identificatoires fiables pour pouvoir se construire. L’absence de père ou la faillite de certains pères dans leur fonction réelle, sociale, familiale peut pousser l’adolescent vers d’autres identifications, au frère, au héros combattant… La question de la sexualité des parents peut aussi interagir s’il n’y a pas de séparation avec l’espace psychique de l’enfant.

 

Pour Mme Theillaumas. Avez-vous eu la possibilité de faire de la recherche à l’UCLAT ? Si oui dans quelle mesure ? Y a-t-il possibilité d’accéder aux données, et aux études scientifiques ?

Réponse d’Eliane Theillaumas
Faisant partie des effectifs de l’UCLAT j’avais accès aux fiches de signalements et je pouvais échanger avec les écoutants et les fonctionnaires des différents départements composant l’UCLAT, mais ma recherche était également basée sur ma pratique clinique étayée par l’accueil et le suivi téléphonique des familles.

 

Pour Mme Theillaumas, de qui parlez-vous quand vous dites que les familles n’ont pas été entendues ?

Réponse d’Eliane Theillaumas
Je parle de certaines familles dont le signalement n’avait pas été pris en compte ou pas pris en charge. Certaines d’entre elles n’avaient pu obtenir d’information tangible sur le dispositif mis en place pour enrayer le processus qu’elles avaient observé (dispositif d’écoute ou de surveillance du concerné, prise en charge ou neutralisation de tiers, réponses banalisantes, culpabilisantes, stigmatisantes…) alors qu’elles alertaient de manière récurrente sur des indicateurs de radicalisation qu’elles avaient observés, constatés, certes au travers de leur prisme qui pouvait être interprétatif. Elles éprouvaient le sentiment de ne pas avoir été entendues soit par les services de renseignement/sécurité ou encore par l’instance locale de suivi.

 

Pour Mme Theillaumas : Quelle est la définition de l’acronyme ASPECT ?

Réponse d’Eliane Theillaumas
ASPECT est l’acronyme qui permet d’appréhender un ensemble de critères, en somme un faisceau d’indicateurs permettant de repérer si un processus de radicalisation est en cours. L’analyse de chaque champ d’investigation permet d’approcher ce phénomène souvent discret au moment du déclenchement.
A= Apparence
S= Stratégies mises en œuvre par le recruteur ou par le sujet en voie de radicalisation
P= Profil ou plutôt éléments de personnalité
E= Environnement social, familial, professionnel… dans lequel le sujet évolue
C= Comportement observable
T= Théories ou discours véhiculés

 

M. Fily : il y a une similitude avec les patients soumis à une injonction thérapeutique. Un travail thérapeutique est-il possible dans ce cas avec les sujets ?

Réponse de Gweltaz Fily
Il m’aurait fallu plus de précision pour être sûr de répondre correctement à votre question, toujours est-il que le cadre de l’injonction thérapeutique est très différent du nôtre puisque nous travaillons à l’amiable. Peut-être pouvez-vous préciser votre question ?

 

Pour G. Fily et G. Habasque, est-ce qu’il est retrouvé un moment de rupture de l’idéal familial comme l’ont déterminé L.Bonelli et F. Carrié dans l’entrée en radicalisation ?

Réponse de Gweltaz Fily
En effet nous retrouvons des similitudes. Cependant, dans les situations qui nous concernent, je ne parlerai pas tant de rupture, mais plutôt de l’étape qui s’en suit, celle du deuil. Le deuil qui parfois s’inscrit dans le réel c’est à dire par le biais d’un décès, mais aussi sur un plan psychologique du côté des idéaux. La combinaison de ces deuils à un moment précis du développement de l’adolescent, du vécu des parents et donc de la famille peut produire une profonde désorganisation de la dynamique familiale impliquant des remaniements psychiques où chaque sujet doit élaborer de nouveaux objets d’investissement pour se soutenir et redéfinir sa position subjective. L’engagement religieux extrême peut être l’un de ces objets parmi d’autres.

 

Séance n° 7 – Traitement de la radicalisation en milieu pénitentiaire

Pourquoi en France n’est-il pas fait appel aux victimes dans le cadre de processus de médiation ou autres ?

Réponse de Marion Dupays
Il est des lieux et des espaces où des victimes interviennent déjà en France à notre connaissance. Cela est le cas par exemple pour Latifa Ibn Ziaten, mère d’une des victimes de Mohamed Merah. Nous avons réfléchi à une telle intervention au sein du quartier dans lequel nous évoluons et cela avait laissé trop de questionnements en suspens à l’ouverture d’une telle unité, cependant nous pourrions être amenés à repenser cette position prochainement.

 

Quand est-il du secret partagé dans l’administration pénitentiaire ? Entre personnes détenues, surveillants, DLRP, direction, SPIP, psychologue pénitentiaire, UCSA ?

Réponse de Michel David
Une réunion de travail le 21 novembre 2018 de l’Association des professionnels de santé exerçant en prison (APSEP = somaticiens), de l’Association des Secteurs de Psychiatrie en Milieu pénitentiaire (ASPMP) avec un vice-président du Conseil National de l’Ordre des Médecins (CNOM) et le président de la commission éthique et déontologie du CNOM s’est tenue sur l’indépendance professionnelle et le secret médical des soignants en prison. Les représentants du CNOM ont rappelé sans ambiguïté qu’il n’y avait pas de secret partagé entre les soignants et les autres personnels que vous citez dans votre question.

Réponse de Marion Dupays
Les fonctions et missions du psychologue au sein des binômes de soutien impliquent une transparence vis-à-vis de la personne suivie. N’étant pas psychologue de l’USCA, mais rattachée à l’administration pénitentiaire, nous en informons clairement le public rencontré en explicitant nos missions et le cadre du secret non partagé concernant l’intime et le caractère partageable des données concernant le passage à l’acte pour les personnes condamnées, le versant de la « radicalisation » et le rapport à la violence. Nous travaillons avec la personne rencontrée sur ce que nous pourrons transmettre aux instances concernées afin de maintenir le lien de confiance et de transparence.

 

Quel sens du travail thérapeutique en prison s’il ne dure pas après ? Êtes-vous en lien avec les services extérieurs par la suite ?

Réponse de Giorgia Tiscini
Bien sûr. Les services SMPR — du moins ceux que je connais — prévoient une consultation externe (ou extracarcérale) qui est dédiée aux sortants de prison. S’ils ne peuvent pas y accéder (surtout pour des questions de distance par rapport à leur lieu d’habitation ou d’hébergement), nous prenons souvent contact avec les professionnels et les structures limitrophes pour la continuité du travail thérapeutique.

 

Mme Tiscini : Quelle est la place du pardon dans ce processus (pardon à soi-même, pardon par Dieu, par les victimes via justice restaurative, etc.) ?

Réponse de Giorgia Tiscini
Le « pardon » est foncièrement subjectif, autrement dit, chaque sujet est libre de pardonner à sa façon et en fonction de ses croyances, en restituant au « pardon » la place qui lui semble adéquate et nécessaire. Il en va de même pour le sentiment de culpabilité. En revanche, la question de la responsabilité et de l’assomption subjective, relatives à l’acte qui a transgressé la loi (sociale et/ou symbolique), est d’un autre ordre.

 

Mme Tiscini : Quelles sont les modalités, selon vous, du rapport du corps avec la question de l’acte pour le sujet qui l’a commis ?

Réponse de Giorgia Tiscini
Si vous vous référez au rapport entre le corps et l’acte, il y a effectivement un lien direct, puisque c’est à travers le corps que l’acte s’exprime. Toutefois, ce rapport est différent entre l’acte et le passage à l’acte.
En revanche, si votre question vise l’effet de l’acte sur le corps, il y a un impact très important qui peut prendre des formes diverses, par ex., en fonction de la singularité, du lieu, de l’histoire de vie du sujet, etc.

 

Est-il déontologique pour un psy de googliser son patient ?

Réponse de Guillaume Monod
Dans le cadre médical d’un entretien d’évaluation psychiatrique, il est nécessaire d’avoir le plus d’éléments biographiques possible pour reconstituer l’anamnèse de la façon la plus précise possible. Rechercher des éléments en accès libre sur Google ne constitue pas une infraction au code déontologique tant qu’ils sont utilisés exclusivement dans le cadre de la prise en charge médicale, mais diffuser des interprétations de ces éléments recueillis est une infraction.

 

Quel devenir suite au travail d’évaluation des personnes radicalisées ?

Réponse de Guillaume Monod
Tout dépend par qui et dans quel cadre institutionnel le travail est fait.
Il existe diverses institutions/associations mandatées par le ministre de la Justice pour prendre en charge les radicalisés, qu’ils soient sortant de prison ou seulement sous main de justice sans peine de détention.
En règle générale, le travail de suivi est fait par le service de probation et d’insertion pénitentiaire.

 

Quelle limite du secret médical dans l’exercice pénitentiaire ?

Réponse de Guillaume Monod
Le secret médical s’applique en prison selon les mêmes critères que dans tout autre lieu de soin, hospitalier ou consultation en libéral.
Il existe une dérogation au secret médical pour tout soignant ayant connaissance d’un crime qui va être ou a été commis.

 

JOUR 4 – Samedi 10 novembre 2018

Séance n° 9 – Questions éthiques, déontologiques et juridiques

Est-ce que les injonctions des ARS ont un caractère dangereux pour l’exercice de la psychiatrie ?

Réponse de Michel David
Pouvez-vous préciser ce que vous entendez par les injonctions des ARS ?

 

Pouvez-vous rappeler les règles en cas de commission rogatoire pour saisie d’un dossier médical ?

Réponse de Michel David
Pour un hôpital, présence du :

 

Séance n° 10 – Radicalisation et maladie mentale, quels rapports ?

Lorsque le cabinet du préfet demande à un médecin exerçant en CMP si un patient en SPDRE vient aux consultations régulièrement quelle doit être la réponse ? 

Réponse de Michel David
Un patient qui est en SPDRE et qui vient consulter en CMP bénéficie d’une prise en charge ambulatoire, il fait donc l’objet d’une mesure appelée « programme de soin » et qui fixe les soins dont il bénéficie.
Le psychiatre doit établir un certificat mensuel qui fait état de son évolution. Le médecin peut modifier à tout moment le programme de soin en fonction de l’évolution de la situation clinique du patient jusqu’à pouvoir demander la levée de la mesure quand elle ne se justifie plus. Ces informations sont suffisantes et régulières pour le préfet et il n’y a rien d’autre à lui communiquer.
Si la situation clinique du patient se dégrade, le médecin peut faire un certificat de réintégration pour ré-hospitaliser le patient.
Il n’y a rien d’autre à faire, pas d’informations orales à donner au préfet.
Il ne s’agit que d’appliquer la loi et rien que la loi que le préfet en tant que représentant de l’État ne peut que respecter.
Le cadre fixé par la loi (lois du 5 juillet 2011 et du 27 septembre 2013 et consignées dans le code de la santé publique) est très clair et permet au préfet d’avoir les informations nécessaires en considération de l’ordre public et de la sûreté des personnes.

 

M. Botbol : d’où tenez-vous cette information que les mineurs délinquants pris en charge à la PJJ ne pourraient être considérés comme radicalisés ?

Réponse de Michel Botbol
Je me suis mal fait comprendre. Je ne pense pas avoir dit que ce n’était pas possible d’être radicalisé et délinquant. J’ai simplement dit que l’on constatait que les radicalisés suivis par la PJJ se distinguaient des radicalisés décrits dans d’autres contextes et des radicalisés terroristes, par le fait qu’ils sont de meilleur niveau scolaire et de moindre niveau de délinquance. Autrement dit, c’est surtout parmi les radicalisés PJJ que l’on trouve ceux qui ont le profil qui les décrit comme ayant un relativement bon niveau scolaire, des familles moins désorganisées, et des convictions religieuses ou politiques bien étayées. J’ai indiqué qu’il était probable que cela était dû à un biais de recrutement qui pouvait être lié au fait que, dans un souci légitime d’éviter à des jeunes la stigmatisation abusive liée à la désignation comme radicalisé, les éducateurs ont plus tendance que d’autres à voir plutôt comme délinquant que comme radicalisé, un jeune délinquant récidiviste, en échec scolaire et de famille désorganisée qui exprime des idées radicalisées alors que c’est probablement à des biais inverses que l’on doit par exemple l’idée que les radicalisés ont une moins bonne santé mentale que les autres.
Donc pas d’impossibilité, mais un fait qu’il est nécessaire d’essayer d’expliquer ; pas d’interdit, mais une tendance qu’il faut reconnaître et considérer avec intérêt car, il est probable que tout ce qui se dit sur cette question est marqué par des biais de recrutement, dans un sens ou dans l’autre. D’ou l’extrême et intrigante diversité des profils rapportés par les différents chercheurs (par exemple l’extrême différence entre le profil de ceux évoqués par Mme Rousseau et ceux évoqués par M. Galland, chacun des deux ayant des partisans et des détracteurs en fonction de leurs idées préconçues).

 

Séance n° 12 -Dispositifs pluriprofessionnels de prévention de la violence 2

MM. Dieu et Sorel, sur combien de temps est prévu votre programme ?

Réponse de Erwan Dieu et Olivier Sorel
Le programme Césure est initialement prévu sur 20 séances de groupe. Les 20 séances sont réparties en quatre modules.
En plus de ces 20 séances, il est conseillé de prévoir une séance d’entrée (présentation du fonctionnement du groupe, élaboration d’une charte de vie, présentation des modalités opérationnelles…) et une de sortie (bilan, valorisation des compétences, remise de diplôme…).
Nous préconisons deux séances par semaine pour les 3 premiers modules, et une séance hebdomadaire pour le module 4. Certains sites, pour des raisons pratiques, ont déjà expérimenté le protocole dans une version allégée de 16 séances, et d’autres avec une ventilation différente des séances (une séance hebdomadaire pour les 4 modules).
Si vous avez d’autres questions, vous pouvez nous les adresser à l’adresse suivante : [email protected]. Nous aurons plaisir à échanger avec vous, et pourquoi pas penser une mise en application à votre service.


Pour consulter toutes les « questions-réponses » des États généraux : https://cert.e-conception.fr/viewforum