Clinique et « traitements »

La clinique est au cœur des pratiques et des recherches menées par le Centre d’Étude des Radicalisations et de leurs Traitements. Cette approche clinique se fonde sur le constat que les politiques actuelles de prévention de la radicalisation, ainsi que l’état de l’art ne disent rien des mécanismes psychiques qui fondent les convictions du sujet radicalisé, ni des processus qui conduisent au renoncement de ces convictions ou à leur résistance. Le but de notre exploration est de comprendre les chaînes de représentation et d’affects conscients et inconscients qui sous-tendent l’acquisition, le renoncement ou la résistance des convictions radicales, en utilisant des méthodes cliniques d’orientation psychanalytique. 

Clinique

Une approche inédite

La clinique est au cœur des travaux menés par le Centre d’Etude des Radicalisations et de leurs Traitements. Cette approche clinique se justifie par l’état de l’art, qui montre que les politiques actuelles de prévention de la radicalisation, fondées sur des méthodes dites « proactives », ne disent rien des mécanismes psychiques qui fondent les convictions du sujet radicalisé, ni des processus qui conduisent au renoncement à ces convictions, ou qui aboutissent à leur résistance. C’est là précisément le but de notre exploration qui vise à comprendre les chaines de représentation et d’affects sous-jacents à l’acquisition, au renoncement ou à la résistance des convictions radicales susceptibles de mener à des passages à l’acte violents, en utilisant les méthodes cliniques d’orientation psychanalytique.

Notre conception des phénomènes de radicalisations engage à prendre en compte leur singularité, telle qu’elle se manifeste dans la parole des sujets radicalisés, pour ensuite les articuler à des considérations sur le contexte culturel qui a favorisé leur émergence. Il ne s’agit donc pas, dans ce cadre épistémique, de simplement étudier la radicalisation à partir de son lien aux comportements violents et/ou potentiellement criminels dont il faudrait mesurer la dangerosité ; il ne s’agit pas non plus de restreindre la radicalisation aux coordonnées d’un environnement social, ni d’en faire la conséquence du ressentiment ou de la frustration sociale.

La radicalisation comme symptôme

La clinique analytique n’étudie pas les comportements en eux-mêmes, en tant que tels : elle engage le clinicien à s’intéresser à la fonction d’un comportement pour le sujet. Il est ici question d’interroger le lien que chaque radicalisé entretient avec sa croyance, le contexte singulier qui l’a incité à l’adopter ainsi que les modalités par lesquelles il pourrait être amené à l’abandonner, une fois celle-ci devenue obsolète au regard du malaise qu’elle était supposée résoudre. Autrement dit, la radicalisation est ici conçue comme un symptôme.

En psychanalyse, le symptôme est la tentative de solution apportée par un sujet à un conflit psychique. Il n’est donc pas, comme en médecine, la maladie proprement dite : la maladie est le désordre issu du conflit ; le symptôme quant à lui est déjà une réponse auto-thérapeutique à la maladie, une solution de compromis qui vise la guérison. Le symptôme ainsi compris implique que le sujet se soit confronté au conflit qui l’a rendu nécessaire : il est l’indice d’un choix actif (quoique inconscient, en partie du moins) du sujet, qui va le construire en le « décorant » avec des éléments anodins empruntés à son environnement (souvenirs d’enfance, motifs culturels, symboles religieux, etc.).

C’est en ce sens que nous envisageons la radicalisation : en tant que symptôme, adopté par les sujets pour des raisons qui leur sont propres, dont la « coloration » (religieuse, politique) provient en partie de l’influence exercée sur chacun de nous par la culture mondiale contemporaine. On peut résumer notre conception de la radicalisation ainsi : chaque époque et chaque culture historique influencent la forme que prennent les symptômes, lesquels sont dès lors toujours transitoires (il y a eu, dans l’histoire, des vagues de « personnalités multiples », des épidémies de « folies ambulantes », qui peuvent disparaître rapidement et revenir cycliquement) ; l’enveloppe du symptôme, son habillage extérieur, qui change selon les époques, a pris depuis une dizaine d’années, pour certains sujets, l’allure de ce que l’on nomme « radicalisation ».

Evaluer, « déradicaliser »: deux opérations impossibles

On aura compris que notre approche clinique n’engage pas sur les voies de ce que l’on nomme «déradicalisation» : il ne s’agit pas, comme en médecine, d’abraser le symptôme, puisque dans ce cas, le risque serait de laisser le sujet dans son état de désarroi initial, autrement dit l’état de malaise qui suscita l’adoption de son symptôme. On voit également combien la problématique de la radicalisation échappe à l’observation objectivante : pour comprendre les rouages intimes de l’adoption de discours radicaux, il est nécessaire d’écouter ce qu’en disent les sujets radicalisés. Aucun profil ni aucune grille de repérage d’attitudes et de comportements ne peuvent ici suffire à saisir les mobiles profonds de ces phénomènes.

En lieu et place de cette « déradicalisation », nous avons défendu les principes d’un « traitement » par la parole visant à mieux saisir les causes subjectives des engagements radicaux ; mis en œuvre à Pontourny, cette approche par la parole est quotidiennement mise à l’épreuve par plusieurs membres du CERT dans le cadre de leur activité de psychologues cliniciens.

Traitements

Le terme « Traitements », inscrit dans la dénomination du Centre, renvoie aux origines de la clinique psychanalytique puisqu’il réfère directement à l’article de Freud « Traitement psychique » (1890), qui forma la pierre angulaire des recherches qui le menèrent sur la voie d’une conception inédite des « maladies de l’âme ». « Traitement psychique », ou « traitement d’âme », écrivait-il, ne veut pas dire « traitement des manifestations morbides de l’âme », mais « traitement prenant son origine dans l’âme » : « traitement […] à l’aide de moyens qui agissent d’abord et immédiatement sur l’âme ». Ces moyens, précisait Freud, sont les mots, « l’outil essentiel du traitement psychique ».

Nous comprenons donc que le traitement psychique, ou traitement par la parole, ne s’utilise pas dans les seuls cas de manifestations morbides : il permet également de saisir des phénomènes ordinaires de la vie psychique – ce que Freud nommera, plus tard, la « psychopathologie de la vie quotidienne » (lapsus, rêves, actes manqués, etc.).

C’est dans ce contexte que nous inscrivons l’essentiel des phénomènes de « radicalisation ». Loin d’y voir un nouveau « trouble » psychique, exigeant une formation en histoire des religion et en islamologie, nous les envisageons plutôt comme l’expression de phénomènes psychiques relevant, du moins dans la majorité des cas, soit de la psychopathologie de la vie quotidienne, soit, en tout cas, de la pratique clinique qui forme l’ordinaire du clinicien.

Cette approche clinique, appuyée sur la parole, est notamment mise en œuvre, de façon pluridisciplinaire, dans nos « ateliers de casuistique ».


Revue des dispositifs de prévention de la radicalisation

Depuis quelques années de nombreux dispositifs de prévention de la radicalisation ont été mis en place en France et à l’étranger. Le CERT entreprend une revue systématique dont l’objectif est de présenter les dispositifs ou les structures les plus innovantes sous la forme d’entrevues filmées ou de petits encadrés.

Le premier dispositif que nous avons choisi de présenter est le Centre de prévention de la radicalisation menant à la violence de Montréal (CPRMV). Il est un lieu unique au niveau international en raison de la qualité de ses actions de prévention, de son organisation et du niveau de formation de ses intervenants.

La mission du CPRMV est de prévenir la radicalisation et d’accompagner les personnes touchées par ce phénomène, ainsi que leurs proches. Sa particularité est d’intervenir aux trois niveaux de la prévention (prévention primaire, secondaire et tertiaire) et de disposer d’un centre de recherche qui se nourrit de l’intervention tout en apportant son expertise aux autres secteurs.

Ce centre s’articule autour de quatre équipes :

https://info-radical.org/fr/

L’entrevue exclusive du mois d’août du CERT